Rachid Allioui : Doucement mais sûrement

Interview réalisé par Mazighuc pour Kabyles.net

Avec deux albums parus, et un troisième en préparation, Rachid Allioui ne semble pas trop préoccupé par la quantité mais plutôt par la qualité artistique du produit qu’il doit offrir au public. Rencontré lors d’une de ses rares apparitions sur scène (au cabaret sauvage), il a bien voulu répondre aux questions de Kabyles.Net et permettre à nos lecteurs de découvrir sinon de mieux connaître ce grand timide de chanteur. Un rendez-vous est rapidement pris et c’est autour d’un plat traditionnel kabyle, qu’il prépara lui-même, que nous avons jasé durant plus de deux heures...



Mazighuc : Azul a Rachid, qu’est-ce que ça te fait de participer à ce gala de solidarité au profit de Smail Medjber et de la famille de Mohamed Haroun ?

Rachid Allioui : C’est un honneur pour moi que de participer à ce genre d’événements. Medjber, Haroun et les autres condamnés à mort étaient, pour nous autres, des exemples de courage, de bravoure, et d’attachement sans failles à nos valeurs ancestrales, à nos langue et culture amazighes... Ils ont agi au moment où la dictature faisait des ravages en Algérie... Il fallait vraiment oser, et eux l’ont fait .La reconnaissance qu’on leur témoigne aujourd’hui ne vaut rien par rapport à ce qu’ils ont accompli.

Moi : Merci Rachid, et si tu nous parlais un peu de tes débuts dans la chanson !

Lui : je suis natif de Laazib n chikh il y a de cela 40 ans, j’ai grandi à Boghni ; J’ai commencé très jeune, j’avais à peine 16 ans et contrairement au style que je fais actuellement (ndlr : le chaabi kabyle ), c’est Ferhat Imazighen Imula qui m’influença en premier, ses chansons étaient pour moi comme de l’oxygène. Ce n’est qu’après que j’ai découvert les anciens tels que Ccix El Hasnaoui, Farid Ali, Moh Said Oubelaid...

Moi : Justement, Ferhat a participé vocalement à une des chansons de ton premier album !

Lui : En effet, c’était en 1996 et Ferhat, (l’Ancien pour les intimes) n’a pas hésité à me prêter sa voix pour la chanson qui s’intitulait « tabratt i Lwennas » lettre à Lounès et je l’en remercie infiniment. Les artistes comme Ferhat on en voit de moins en moins.

Moi : Tu as eu également la chance de côtoyer feu Lounès Matoub !

Lui : Oui comme tu le dis si bien, j’ai eu la chance de l’avoir connu et vécu des moments inoubliables avec lui... (L’émotion l’envahit et je décide de rompre le silence)

Moi : Dans quelles circonstances tu l’as connu ?

Lui : Et bien, pour tout te dire, je l’ai connu à l’hôpital des Orangers à Alger, suite aux très graves blessures dont il a été victime lors des événements d’octobre 1988. J’avais participé à la fondation du Comité de Soutien à Lounès Matoub aux côtés d’étudiants de l’époque dont Tayeb Nait Ali, Said Larbi, Hamid Larfi et d’autres. Je me rendais à son chevet pratiquement tous les jours... Et le sort a voulu que je quitte l’Algérie pour le revoir ici en France à l’hôpital Baujeon. On était en 1989, et l’amitié qui me liait à lui venait de naître. Et jusqu’au jour d’aujourd’hui je n’ai pas eu le courage de me rendre sur sa tombe et saluer sa mémoire, malgré les nombreuses visites que j’effectue en Kabylie...Je ne veux pas croire à sa mort.

Moi : D’après mes infos, il t’a même aidé sur le plan artistique !

Lui : Non, ça ne s’est pas passé comme cela...c’est une chanson qu’il avait composé pour lui, mais à un certain moment il ne la trouva plus d’actualité, et comme c’était une chanson que j’aimais beaucoup, et il le savait, il me proposa donc de la chanter si je le désirais. J’ai essayé de la remettre au goût du jour tout en gardant l’essentiel du texte et de la musique. Le public la découvrira dans le prochain album qui est d’ailleurs fin prêt. Il sera sur le marché en septembre 2007 chez les Editions Maréchal de Draa Ben Khedda (ex Mirabeau) ; Et il aura pour titre Tighri n umenkir (cri du rebelle)

Moi : Et qu’en est-il de la scène, on ne te voit que très rarement !

Lui : Tu sais, je vais te sortir une réponse standard que 90 % des chanteurs kabyles vivants en France te sortiront : c’est la suivante : « quand les organisateurs font appel à moi, je réponds toujours présent, sinon je reste chez moi ». Le constat est juste et je crois qu’il n’est pas opportun d’aller chercher les causes chez X ou Y... Pour ma part, j’ajouterai seulement que heureusement que ce n’est pas la chanson qui me fait vivre...autrement terwi tebberwi. Je connais beaucoup d’artistes kabyles de talent qui hibernent chez eux en attendant qu’une association daigne les inviter à fêter Yennayer ou Tafsut Imazighen.

Moi : Comment vis-tu ton exil ?

Lui : L’exil est dur pour tout le monde, mais je crois que l’artiste le vit plus durement parce qu’il est généralement plus sensible que les autres. En s’exilant, un artiste qui ne retrouve pas ses marques est fichu d’avance. Qu’est-ce qui peut attirer un artiste vers l’exil, sinon la quête de la liberté sous toutes ses formes. Mais malheureusement pour nous, dès notre arrivée on se retrouve confrontés aux tracasseries quotidiennes de tout le monde. Comment veux-tu qu’un artiste puisse « accoucher » d’un beau truc, s’il passe ses journées -en plus de ses nuits- à réfléchir à comment pourra t-il payer son loyer à la fin du mois... Laisse tomber, va !

Moi : Les accouchements se passent souvent dans la douleur. Tu n’es pas d’accord avec moi ?

Lui : Si, mais chez nous, ça laisse des traces indélébiles comme celles de la césarienne (rires)...

Moi : Comment le public avait-il accueilli tes deux premiers albums parus ici en France ?

Lui : En France et en Algérie... si ce n’étaient pas les bons échos que j’aie eu pour le premier, je n’aurais pas fait le deuxième et ainsi de suite. Mais pour être honnête avec toi, je te dirai que le vrai public des chanteurs kabyles se trouve en Kabylie, et personnellement tout ce que je chante leur est destiné. Une carrière internationale ne m’intéresse pas du tout, la régionale me suffit largement ...

Moi : Je crois comprendre où veux-tu en venir ! Comment vois-tu l’avenir de la Kabylie ?

Lui : L’avenir de la Kabylie comme d’ailleurs celui de toutes les autres régions du pays ne doit pas dépendre du pouvoir central d’Alger. Si en Kabylie on aime seksu, inighman s zzit n uzemmur , je ne vois pas pourquoi on nous imposerait des dattes avec du lait de chamelle, si tu vois ce que je veux dire !

Moi : je vois très bien ...

Lui : Mais sérieusement, en 1982 Ferhat chantait les tares que vivaient notre pays après 20 ans d’indépendance dans la chanson « âecrin n sna di laêmer-is » et 25 ans après cette chanson, on se rend compte que les mêmes problèmes n’ont pas trouvé de solution, mais au contraire ils se sont amplifiés au point de non retour.

Moi : Crois-tu que l’autonomie de la Kabylie réglerait les problèmes de l’Algérie ?

Lui : Elle réglera certainement ceux de la Kabylie. Le reste, que chaque région se prenne en charge selon ses spécificités sociales, culturelles et autres linguistiques... Tu peux me dire pourquoi le terrorisme bat son plein en ce moment en Kabylie, alors que c’est la seule région de toute l’Afrique du nord où la laïcité fait partie de ses valeurs !!!! Tu peux me dire pourquoi nous n’avons pas une télévision berbère alors que des millions d’habitants ne sont que berbérophones...et qu’il a fallu attendre la naissance de Berbère-Télévision en 2000 et passer par Paris pour que nos parents puissent regarder un film ou voir une émission de variétés dans la langue de Massinissa.

Nekk : Yetchur wul-ik a Racid !

Netta : Ifelleq qessam-iw mad’i !

Nekk : Aha ihi ini-yagh-d kra n wawalen inegura i wid ara k-yeghren !

Netta : Azul fell-awen merra, et laisse-moi profiter de cette occasion pour dire au producteurs de chez nous qu’il n’ y a pas que la chanson de fête et les non-stop dans la musique kabyle ; c’est grâce à la chanson à texte que notre culture et notre langue sont actuellement reconnues.

Nekk : t’as un message particulier.

Netta : oui, je voudrais saluer des amis artistes qui sont plein de talent et qui demeurent dans l’ombre, je pense notamment à Karim Slaim, Mourad Azouz, Kamel Bouyacoub... la liste est longue.

Nekk : Tanemmirt a Rachid, ton message est passé, et je les salue à mon tour. Et au plaisir d’écouter ton nouvel album.

Entretien réalisé par Mazighuc, pour Kabyles.net

Paris, avril 2007
 

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